- Ne perdons pas de temps. Lancez la projection.
Nial Vickol, visiblement réticent, inséra son index entre les électrodes mis à nus et fit une grimace d’appréhension. Le décor perdit cette fois encore toute cohérence ; les deux hommes, forts de leur expérience précédente, fermèrent les yeux pour éviter la nausée sensorielle qui avait caractérisé leur dernier visionnage. Quelques instants plus tard, Edam Sangh s’adressa à son subalterne :
- Ouvrez les yeux Monsieur Vickol, et dites-moi où nous sommes.
Nial sourit et répondit franchement :
- Et bien, en toute logique, toujours dans la…
- Je voulais dire à quelle salle peut correspondre un tel décor ! le coupa sèchement le capitaine Edam.
- Ah, et bien…
Ses paroles atteignirent les oreilles des deux hommes, mais aucun ne les entendit vraiment. Il y avait comme une lourdeur sonore dans l’air. Les oreilles de Nial vibraient comme sous l’effet d’un son puissant, mais seul un bruit continu et étouffé, semblable à celui d’un lointain décollage de fusée terrestre, lui parvenait.
De même, ses paupières semblaient lourde, comme sous l’effet d’une torpeur. Il avait l’impression que chaque élément du décor qui l’entourait s’avançait vers lui avant de repartir, dans un mouvement pulsatoire. La pièce semblait étrangement étroite, et était très sombre, de sorte qu’on ne savait pas vraiment où se trouvaient ses limites. A moins que ce soit la lumière blanchâtre qui éclairait une table et deux fauteuils – seuls mobilier de la pièce – et qui venait d’un point indéfinissable du plafond, contrastant avec force avec l’environnement alentour, qui faisait cet effet là. Nial avait l’impression d’avoir de la fièvre, de délirer. Mais il ne s’en rendra compte que plus tard.
A chaque fois qu’il tentait de poser son regard sur la table, sa tête était chassée brusquement, et ses yeux fixaient alors le fauteuil le plus proche de lui. Une machine moderne, qui s’avançait seule à la rencontre de la personne qui souhaitait s’asseoir.
Soudain, la pièce ne sembla plus faire son mouvement de balancier, tandis qu’il avait l’impression que c’était le tour de ses yeux. Ceux-ci était devenus comme deux cœurs, qui battaient de façon synchronisée. Alors, l’évidence lui apparut :
- Et bien, c’est la Chambre aux Crayons.
Il ne s’entendit pas non plus parler, mais son regard se posa néanmoins sur son supérieur, et il souria d’une bouche fermée et étirée. Le capitaine Sangh, lui, avait la tête qui se balançait d’avant en arrière, entraînant son corps dans le mouvement, le faisant ressembler à un pendule tenu à l’envers, suspendu à des fils invisibles. Il avait entendu lui, car, sans sourire ni expression particulière, et tandis que son corps se balançait, il répondit, d’une vois monocorde, sourde et grave, qui ne lui était pas commune :
- Oui, c’est bien ça.
Nial fixa un pan de mur, ou ce qu’il croyait être la zone où devrait se trouver celui-ci, et eut soudain l’impression de plonger dans sa vision de la pièce. Il eut l’impression de se retrouver de l’autre côté de la table. Il se retourna, et se trouva à quelques centimètres seulement de la tête d’Edam.
- La Chambre aux Crayons, dit-il.
- Oui, c’est bien ça.
Dit ce dernier de la même voix sourde, avant de continuer son mouvement de pendule, vers l’arrière, dans un mouvement visuellement accéléré.
Le lieutenant avait gardé son sourire de pantin, et se trouvait à présent à hauteur du plafond, couché en l’air, parallèle à la table, le visage tourné vers cette dernière. Il chuta sans fin, en un instant, éternellement, et le bout de son nez toucha presque la table, alors qu’une fraction de seconde était passée. Maintenant, il la voyait. Elle était simple, métallique, et semblait lisse.
- La Chambre aux Crayons.
- Oui, c’est bien ça. Fit à nouveau la voix de son supérieur, qui revenait, comme annonciatrice du temps qui passe.
Mais une autre voix retentit soudainement dans la pièce. Une voix claire, démarquée, qui dénotait une articulation soignée. Complètement opposée à l’atmosphère présente.
- Asseyez-vous, je vous prie.
Tout redevint normal, si l’on exempt l’absence de démarcation des limites de la pièce. La lourdeur sonore et visuelle avait disparu, les balancements de toute chose aussi.
Le lieutenant Vickol cligna plusieurs fois des yeux, déglutit une ou deux fois, et regarda de nouveau la pièce. Il ne se sentait plus du tout fiévreux.
Les deux officiers étaient de part et d’autre de l’ambassadeur Chalarn qu’ils avaient vu dans le premier hologramme. Il était assis dans un fauteuil identique à celui du précédent bureau. Le vieil homme semblait nerveux et parcourait nerveusement l’étrange salle du regard. Son malaise faisait tressaillir la commissure droite de ses lèvres. L’homme qui lui faisait face, certainement ce 13, avait des cheveux entièrement blancs coupés courts, mais un visage pourtant jeune. Il aurait pu être séduisant sans la froide indifférence qui émanait de ses yeux gris. Il était vêtu d'un complet blanc sans distinction particulière, excepté un unique 13 brodé à hauteur de son épaule droite. Alors que l’officier et son second dévisageaient l’étrange jeune homme aux cheveux blancs, le vieil ambassadeur prit la parole sur un ton incertain :
— Où sommes nous ?